
Par Amine Harmach
Elles sont comédiennes, autrices, musiciennes ou artistes multidisciplinaires. Leur point commun ? Une volonté farouche de raconter le monde, de revendiquer une place bien à elles dans le paysage culturel de l’Outaouais.
Dans une région où les espaces de diffusion restent limités, ces créatrices ne se contentent pas d’exister : elles transforment l’espace artistique par leur engagement, leur résilience et leur audace.
Christine Bellerose incarne parfaitement cette liberté

Christine Bellerose_Séries performance movement écosomatique-recherche Hagitude Créature sensible_Tyuonyi _ Bandelier National Monument New Mexico 2022-2023. Crédit : Sarah West
Artiste de performance explorant la relation entre le corps, la nature et les éléments, elle a fini par s’installer en Outaouais en 2021, après un parcours qui l’a menée à travers les grandes métropoles du monde : Miami, Pékin, Mexico, Vancouver, Londres.
Loin des contraintes du marché et des institutions artistiques traditionnelles, elle trouve dans cette région un espace d’expérimentation inégalé, où le corps et l’environnement dialoguent. « Être hors du centre de diffusion, c’est refuser les stéréotypes. On n’a pas à choisir entre être une jeune femme fragile ou une vieille femme sage. Entre les deux, il y a un monde. Il y a nous. »
Elle découvre aussi un réseau d’artistes indisciplinés, mais solidaires, qui, bien que souvent autofinancés, continuent de créer envers et contre tout.
Cette dynamique, Élaine Juteau la connaît bien.
Naviguant entre théâtre, cinéma, arts visuels, écriture et mise en scène, elle refuse d’être enfermée dans une seule discipline.
« Mon travail est une accumulation de couleurs », dit cette Montréalaise d’origine, qui a étudié à Chicoutimi avant de s’installer en Outaouais en 2016.
Pour elle, le plus grand défi des femmes artistes reste la visibilité : « Nous devons souvent présenter nos productions ailleurs, faute de place ici ».
Elle ajoute : « Il faut creuser pour trouver les femmes artistes d’Outaouais. Mais elles sont là, elles se battent chaque jour pour exister. »

Crédit photo : Patrick Simard

L’opéra a-t-il sa place en Outaouais? Frédérique Drolet en est convaincue.
Cette chanteuse lyrique native de la région, après une formation classique à Montréal, a fondé Opéra à la carte en 2007. Son objectif : rendre l’opéra et la voix lyrique accessibles à tous.
Outre son engagement artistique, son parcours l’a menée à faire des études en gestion entrepreneuriale à HEC Montréal, un atout qui lui permet aujourd’hui de pérenniser son activité.
« Il faut sans cesse être en mode promotion, chercher des clients, organiser des spectacles et développer de nouveaux ateliers », explique-t-elle, assurant « qu’être artiste aujourd’hui, c’est aussi savoir gérer une entreprise culturelle. »
Et pour elle, revenir s’installer en Outaouais en 2020 a été un défi, mais aussi une opportunité : « Ici, où peu de choses se font en opéra, il y a un espace stimulant pour innover. »
crédit photo : Kevin Calixte
Entreprendre et démocratiser l’art
Si la créativité est un moteur pour ces femmes, la colère l’est tout autant.
Corinne en témoigne à travers une simple phrase, gravée sur une plaque du parcours poétique de Gatineau : « La colère libère. Fâche-toi, fille ; tu le mérites. »
Comédienne, dramaturge, artiste aérienne et animatrice, elle s’engage dans des œuvres théâtrales percutantes qui explorent des thématiques difficiles, mais nécessaires. « Parmi mes pièces, plusieurs abordent les violences sexuelles, y compris celles touchant les enfants. C’est un sujet douloureux, mais essentiel à traiter. »
Féministe assumée, elle est également passionnée par les arts aériens — cerceau, poteau, tissus —, qu’elle pratique et enseigne. « C’est un levier d’empowerment puissant et amusant, surtout pour les femmes, qui sont majoritaires dans mon studio. »
Elle observe d’ailleurs une évolution des mentalités, notamment sur la perception de la sexualité féminine. « Le pole dance, par exemple, n’a pas toujours été vu comme un art légitime. Aujourd’hui, il est mieux accepté et les studios fleurissent. Cela témoigne d’une ouverture. »

Labo de la pièce « Os » de Vincent Leblanc-Beaudoin, à Toronto, à l’été 2022. Crédit photo : Matthieu Taillardas (@mattlxb

Jessica Léveillée, autrice, partage cet optimisme tout en restant vigilante.
« Nous sommes de plus en plus nombreuses en Outaouais à prendre notre place. Dans notre association (l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais), des femmes écrivent du polar, de la science-fiction, des genres jadis dominés par les hommes. Nous prouvons que tout est possible. »
Sa récente publication, le premier tome de sa trilogie Aimerons-nous toujours le bleu ? interroge l’évolution historique de cette couleur, jadis associée aux femmes avant de devenir un symbole masculin. Ainsi pour elle les préjugés même s’ils restent tenaces doivent être brisés. « Lors du Salon du livre, j’ai souvent entendu que mes romans étaient destinés uniquement aux femmes. C’est une idée préconçue erronée. Nous devons briser ces stéréotypes. », revendique-t-elle.
Inspirantes et inspirées, les artistes femmes façonnent ainsi avec audace la scène culturelle en Outaouais. Elles créent, revendiquent et s’imposent, chacune à sa manière.