Exposition « Ce lieu est là où je suis » par Emily Rose Michaud

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Type d’audience
Langue Bilingue
Mode d'assistance Événement en présentiel

Emily Rose Michaud

Ce lieu est là où je suis 

Il existe plusieurs façons de nommer cette grande rivière qui coule près du centre d’exposition L’Imagier: Kitchissippi, Kichi Siibii // rivière des Outaouais, Ottawa River, et d’autres noms peut-être[1]. Est-ce le reflet de ses multiples facettes? Des gens qui habitent le rivage, des relations qui émergent des flots, de la vie qui pousse sur ses berges, des blessures ensevelies dans ses profondeurs, des histoires de dépossession des terres et des eaux, des forces à contre-courant et des voix portées par le vent. 

L’artiste Emily Rose Michaud, originaire de la région, a une curiosité pour les cours d’eau de l’Outaouais qui s’établissent en réseau de connexions. Elle cherche à mieux comprendre ces systèmes naturels dans toute leur beauté et leur complexité en particulier lorsqu’ils sont liés à l’histoire locale. Elle passe des heures à s’imprégner de ces paysages où l’eau et la terre se rencontrent et à converser avec les gens pour saisir l’essence du lieu. Cette démarche l’amène à créer des œuvres aux formes diverses, en solo ou avec d’autres artistes, à l’aide de différents médiums : dessin, peinture, céramique, cyanotype, performance, textile vivant, enregistrement audio et vidéo. Ces œuvres ont en commun de favoriser le croisement entre l’art, l’écologie et l’éducation, ainsi que de permettre un dialogue avec un écosystème à la fois naturel et social.

Sur le papier, l’argile ou le verre, Michaud trace le parcours des rivières pour en faire une carte mémoire des lieux. Elle utilise la technique du cyanotype, un procédé où elle travaille avec la lumière du soleil et la matière du terrain, pour révéler des formes bleutées sur différents papiers dont certains sont faits main avec des plantes locales. Elle sculpte aussi la topographie des cours d’eau dans l’argile, saisissant ainsi leur empreinte dans la terre. De là, elle produit des tuiles aux glaçures aquatiques et des pièces de porcelaine illuminées qui, déployées sur le mur ou déposées sur une table lumineuse, forment une carte hydrographique. Avec la céramiste Marie Drolet, elle crée des tuiles hexagonales qui représentent des plantes de la région, regroupées selon les quatre saisons. La forme hexagonale est inspirée de la molécule d’eau; sa répétition évoque les milliers de gouttelettes qui composent les ruisseaux. Elle fait aussi penser à l’alvéole où l’abeille produit le miel grâce à une relation symbiotique avec les plantes.

De ses visites sur différents sites au fil des saisons, Michaud tire des vidéos et des sons qui forment une archive numérique reflétant l’espace et le passage du temps. Elle interviewe des membres de la communauté locale pour recueillir leur mémoire et leur point de vue sur les changements qui s’opèrent dans la région. Elle assemble ces enregistrements pour créer des paysages sonores et des vidéos qui témoignent d’un amour du lieu, mais aussi d’un sentiment de perte devant la disparition de certains paysages. La végétation elle-même trouve sa place dans la galerie avec les tapisseries vivantes conçues à l’aide de semences de pois et de blé. Ces bandes de terre, qui rappellent le cycle de la germination à la décomposition, reposent sur un système racinaire robuste emblématique du principe de l’interrelation. 

La réflexion que soulève Michaud sur l’appartenance au territoire et son expérience sensible apaise le sentiment de détresse engendré par la crise climatique en cours. Notre attachement à l’eau et à la terre nous donne la force de faire face à la perte et aux changements qui affectent nos vies dans le quotidien. De cette reconnaissance peut émerger une conscience écologique plus engagée, nous rappelant que l’humain fait partie d’un ensemble de relations sur lequel repose sa survie. Comme l’eau qui garde la terre vivante, notre responsabilité collective est de prendre soin de ce précieux équilibre.

[1] Kitchissippi en langue anishinabemowin signifie « grande rivière », mais ce mot ne réfère pas à l’ensemble du cours d’eau pour le peuple algonquin. Kitchissipi désigne précisément la partie inférieure de la rivière qui coule de Mattawa jusqu’au lac des Deux-Montagnes, incluant la région de Gatineau/Ottawa. (James Morrison et Sicani Research and Advisory Services, « Algonquin History in the Ottawa River Watershed », dans Cultural Heritage, 2005). D’un côté de la rive au Québec, le cours d’eau est connu sous le nom de « rivière des Outaouais », tandis que de l’autre côté en Ontario, il s’agit de la « Ottawa River ».